L’importance de la qualité de l’étude préalable

Koen VAN BALEN, Pierre SMARS

4 Juin 1998


Texte d’une intervention donnée au "Deuxième Symposium Européen des Entreprises de Restauration du Patrimoine Architectural", Strasbourg, 4–5 juin 1998.

Le but de cet exposé est la discussion de l’importance de la qualité des études préalables. Nous allons néanmoins commencer par examiner les raisons conduisant à ces études, car ce sont elles qui devraient servir de base à l’établissement des critères de qualité.

1 Pourquoi des études préalables ?

Les études préalables sont souvent comprises comme des actions limitées dans le temps et concernant des objets précis. Nous aimerions les replacer dans un contexte plus global, suivant une démarche holistique, caractéristique de l’évolution de la pensée sur la conservation du patrimoine. Plusieurs niveaux d’utilités peuvent ainsi être dégagés.

1.1 Dans le contexte particulier d’un édifice

A court terme : résoudre un problème

Comme leur nom l’indique, les études préalables sont le plus souvent demandées préalablement à des travaux de restaurations et leur but premier est donc d’aider à mieux résoudre un problème particulier.

Le patrimoine est un phénomène complexe, présentant de nombreuses dimensions. On ne peut prendre des décisions le concernant sans l’envisager dans toute sa complexité. Les études préalables permettent de l’appréhender en définissant les valeurs qui serviront de bases aux décisions : valeurs historique, architecturale, technique, et autres.

Les informations issues des études préalables peuvent également se compléter, se préciser, se contredire parfois. Chaque discipline peut aider ses paires. Chaque étude disciplinaire conduit à la formation d’un modèle de l’édifice. Ces modèles ne sont qu’imparfaitement fidèles à la réalité et en donnent donc une image floue. La multiplication des modèles permet de varier les points de vue. Les problèmes sont ainsi mieux circonscrits et des décisions plus proche du minimum nécessaire peuvent être prises ; ce qui est autant un critère de bonne conservation qu’un critère économique.

A long terme : construire un outil de gestion

L’adjectif "préalable" dans "étude préalable" est peut-être de trop. Si l’on se situe dans une perspective de conservation à long terme du patrimoine bâti, il faut faire appel aux études de façon plus dynamique, les utiliser pour construire progressivement un outil de gestion du patrimoine. Les études ne devraient certainement pas se terminer avant et pas forcément avec les travaux. Des études postérieures de contrôle (monitorage à long terme, inspection systématique régulière) ou des études complémentaires pour éclaircir certains points sont souvent utiles. En plus de conduire à une politique plus cohérente, la constitution d’une documentation dynamique permet de diminuer l’ampleur des interventions et donc les coûts.

1.2 Dans le contexte général d’une région culturelle

Dans une perspective à long terme, les études préalables peuvent conduire à l’amélioration de la connaissance du patrimoine.

Si l’on cherche à préserver les bâtiments historiques c’est parce qu’ils font partie du patrimoine humain et comme tels sont porteurs de messages. Un message impliquant une lecture, les actions sur les monuments ne devraient pas se limiter aux mesures nécessaires à leur survie mais également en inclure visant à mieux les comprendre. Et ces études sont facilitées par la présence de l’infrastructure nécessaire aux travaux de restauration. Sans les échafaudages et sans la présence d’intervenants attentifs, la présence de traces de polychromie n’aurait par exemple pas été révélée sur la cathédrale de Lausanne. Par la suite ces études peuvent également servir d’outil de communication et de légitimation de l’argent investit vis-à-vis du public et permettre ainsi une meilleure intégration du patrimoine dans la société.

Les études préalables peuvent également servir de base à la formation progressive de corpus de renseignements techniques. Pour la Belgique, on peut citer en exemple :

De ce point de vue, il serait très intéressant que les autorités ou les universités promeuvent et définissent des programmes de recherche privilégiés. La quantité de travail n’est pas forcément rédhibitoire. L’importance de la définition des fiches et de la coordination doit cependant être soulignée. Outre l’intérêt scientifique évident de ces corpus, ils seraient également fort utiles lors de travaux de restauration spécifiques.

Théorie et pratique de la restauration sont en rapport étroit. Il existe une tendance à transformer l’édifice que l’on restaure en une image de la compréhension que l’on en a. Cette tendance est inévitable, dès qu’une intervention est décidée. On peut citer un exemple extrême emprunté à la pratique du XIXe siècle mais le problème est également présent, même si c’est à une moindre échelle dans les restaurations actuelles : pour l’église du Sablon à Bruxelles (i le système de couverture des bas-côtés a été complètement modifié pour correspondre à une disposition «typique» de l’architecture gothique brabançonne, ii le programme des sculptures a été inventé sur le modèle de celui de l’église de Brou, en France, peut être construite par le même architecte). On peut toutefois essayer de minimiser ces transformations. Mais pour cela, il faut avoir une bonne connaissance de l’édifice dans sa réalité propre et donc disposer d’études scientifiques visant la neutralité.

2 Critères de qualité

2.1 La qualité des relations entre études

La diversité de formation des intervenants conduit souvent à des difficultés de dialogue. Les objectifs disciplinaires sont parfois antagonistes. De ce point de vue, une formation complémentaire en Conservation des monuments, comme celle organisée au «Centre R. Lemaire pour la Conservation», peut aider les spécialistes à trouver leur place dans le théâtre de leur collaboration, le chantier de restauration.

Pour arriver à un résultat probant, il faut se construire des plates-formes de dialogue, former une équipe interdisciplinaire de spécialistes se rencontrant régulièrement et discutant d’objectifs communs en définition. Il s’agit en définitive d’essayer de transformer une attitude multidisciplinaire en attitude interdisciplinaire.

Personnellement, je ne crois cependant pas en la possibilité de décisions purement collégiales. La présence d’un «chef» permet plus facilement le maintien d’une ligne de cohérence et empêche la dilution des responsabilités.

2.2 La qualité intrinsèque des études

Il y a probablement moins à en dire dans le cadre de cet exposé, chaque discipline ayant ses critères propres de qualité. On peut toute fois indiquer, même si cela peut paraître évident, qu’il faut que chaque étude présente dans ses conclusions les éléments de réponses aux questions qui sont à l’origine de la demande de ces études (résoudre un problème, construire un outil de gestion ou améliorer la connaissance).

Il est également important de fixer jusqu’à quel point les études doivent se poursuivre, quelle doit être la précision des informations rassemblées. Si l’on se limite à l’exemple d’une étude structurale, celle-ci peut utiliser comme base un modèle géométrique (le relevé), un modèle des déformations existantes (le relevé des fissures et autres pathologies), un modèle des déformations en cours (le système de monitorage), un modèle historique (l’histoire des phases de la construction), un modèle matériel (les matériaux de construction) et bien d’autres encore. Pour arriver à une étude structurale homogène et significative, il faut que ces différents modèles soient de qualité comparable et suffisante.

3 Conclusions

L’importance des études préalables pour la conservation du patrimoine est toujours plus reconnue. Probablement parce que, outre à leur intérêt scientifique assez évident, on commence à reconnaître leur intérêt économique. Le phénomène étant relativement récent, les modalités d’organisation ne sont dès lors pas encore parfaitement définies. Pour éviter le risque de voir se multiplier les études disciplinaires stériles, commandées seulement pour répondre à quelque exigence légale présente ou à venir ou pour répondre au goût de la multidisciplinarité en elle-même, il est important d’avoir une réflexion sur les raisons sous-tendant ces études préliminaires. D’autre part, leur intégration dans une perspective à long terme nous semblerait également profitable.


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